Quelle responsabilité pour des propos tenus sur un forum..

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Quelle responsabilité pour des propos tenus sur un forum..

Messagede MANU » 10 Aoû 2010, 08:52

Quelle responsabilité pour des propos tenus sur un forum de discussion ?
Première application de l’article 27 de la loi HADOPI
Par Henri Leben - Avocat à la Cour

Grace à Internet, tout le monde peut désormais faire connaître de manière quasi instantanée et à un maximum de personnes, ce qu’il fait et ce qu’il pense. On connaît le succès des sites 2.0 fondés sur ce principe, et il n’est guère envisageable pour un site Internet de ne pas offrir à ses visiteurs un espace de discussion en ligne. Si la plupart des forums de discussion proposent des systèmes de modération, ceux-ci sont souvent si peu efficaces qu’il n’est pas rare de lire sur tel ou tel forum des remarques ou commentaires parfaitement racistes ou injurieux.
Les forums de discussion publiés sur les sites de jeu en ligne n’échappent pas à la règle, et tout le monde a pu constater que dans la frénésie du jeu certains propos échangés sont parfois attentatoires à la dignité des autres joueurs.

Il est bien connu que les paroles s’envolent et que les écrits restent. Mais comment faire pour effacer des propos injurieux publiés sur Internet ? A qui s’adresser ? Et surtout, qui doit être tenu responsable des propos échangés sur un forum de discussion ?

On connaît la distinction – parfois subtile – opérée par l’article 6-I-1 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (la « LCEN »), entre « hébergeur » et « éditeur » d’un site Internet.

Grosso modo, la personne qui s’estime lésée par un contenu diffusé sur Internet peut soit faire condamner l’éditeur du site, soit contraindre l’hébergeur à bloquer l’accès au contenu litigieux.

Plusieurs régimes de responsabilité peuvent cependant s’appliquer à l’éditeur du site.

C’est donc aux tribunaux saisis d’indiquer si en publiant un contenu illicite, l’éditeur a commis un délit de presse, un acte de contrefaçon, de concurrence déloyale ou tout autre acte susceptible d’engager sa responsabilité.

A ce corpus législatif déjà complexe, la loi HADOPI du 12 juin 2009 est venue ajouter des dispositions spécifiques aux forums de discussion publiés sur un site Internet.

Désormais, l’article 93-3 al. 5 de la loi sur la communication audiovisuelle du 29 juillet 1982, modifiée par l’article 27 de la loi HADOPI, précise que :

« Lorsque l'infraction résulte du contenu d'un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s'il est établi qu'il n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message ».

L’application, pour la première fois, de ce texte par le tribunal de grande instance de Paris dans une décision datée du 9 octobre dernier, permet de clarifier quelque peu les conditions d’application de ce texte.



* * *



En l’espèce, une mystérieuse Claire C., présentatrice de télévision, avait déposé plainte à l’encontre d’un non moins mystérieux Carl Z., au titre de propos diffamants et injurieux publiés sur un forum de discussion « hébergé » sur un site Internet.

Ayant retenu que Carl Z. devait être considéré comme le directeur de publication du site, c’est fort logiquement que le Tribunal fait applications des nouvelles dispositions de l’article 93-3 al.5.

A ce titre, Carl Z. est condamné pour diffamation et injures publiques, en raison de « la mise en ligne sur son site de messages d’internautes dans un espace de contributions personnelles ».

La responsabilité de Carl Z. n’est cependant engagée qu’au titre des messages pour lesquels une demande de retrait a été adressée par la partie civile au responsable du site (soit 6 messages sur 19).

En l’espèce, Claire C. avait en effet demandé la suppression de 6 messages, alors que la plainte portait en tout sur 19 messages, il est vrai tout aussi injurieux et diffamatoires.

De son côté, Carl Z. avait dans un premier temps accédé à la demande de Claire C. … avant de remettre en ligne les 6 messages dont le contenu injurieux lui avait été signalé.

Il ne pouvait donc prétendre ne pas avoir eu connaissance de l’existence desdits messages.

S’agissant des 13 autres messages, le Tribunal refuse de retenir sa responsabilité dès lors qu’

« il n’est pas soutenu par la partie civile qu’elle aurait par quelque moyen que ce soit appelé l’attention du responsable du site sur les messages en cause, de sorte que la preuve n’est pas rapportée avec le degré de certitude requis en matière pénale que Carl Z. aurait, en sa qualité de directeur de publication, eu effectivement connaissance desdits messages avant leur mise en ligne ».

Les nouvelles dispositions de l’article 93-3 al. 5 constituent ainsi indéniablement un assouplissement du régime de responsabilité du directeur de publication, en lui évitant de voir sa responsabilité engagée automatiquement du fait d’un message publié sur un forum.

Seuls les messages dont il est prouvé que le directeur de la publication a effectivement eu connaissance, sont susceptibles d’engager sa responsabilité.

Plusieurs enseignements peuvent être retirés de cette décision :

Le Tribunal confirme d’abord que les nouvelles dispositions issues de la loi HADOPI ne s’appliquent pas aux seuls services de presse en ligne, mais à l’ensemble des services de communication au public par voie électronique (ce qui inclut les sites de jeux vidéo).

Le Tribunal établit ensuite un parallèle entre le régime de responsabilité du directeur de publication du fait des propos tenus sur un forum de discussion, avec le régime de responsabilité des hébergeurs, tel que défini par l’article 6-I. 2 et 3 de la LCEN.

Dans les deux cas, la responsabilité du directeur de publication ou de l’hébergeur ne peut en effet être mise en œuvre que s’il a eu connaissance du contenu litigieux, et a agi promptement pour le retirer une fois informé.

Contrairement au régime de responsabilité des hébergeurs, la loi n’a cependant prévu aucune modalité particulière de notification.

C’est donc à la partie civile de démontrer que les diligences qu’elle a effectuées permettent de présumer que le directeur de la publication avait nécessairement connaissance des messages publiés sur le forum de discussion.

La solution la plus prudente consistera bien sûr à notifier le contenu illicite au directeur de publication, en utilisant les modalités de notification décrites à l’article 6-I-5 de la LCEN.

A noter cependant que l’article 93-3 ne reprenant pas littéralement les dispositions de l’article 6-I-5, il est probable que les tribunaux accepteront que la preuve de la connaissance par le directeur de la publication de messages illicites diffusés sur un forum, soit rapportée par tout moyen.

Il sera donc vraisemblablement plus facile d’engager la responsabilité d’un directeur de publication (en raison des propos tenus sur un forum de discussion) que celle de l’hébergeur.

Néanmoins la décision rendue par le Tribunal montre que la responsabilité du directeur ne peut être engagée qu’au titre d’un message bien identifié, et non en raison de l’ensemble des propos échangés sur un forum de discussion.

Toute personne souhaitant engager la responsabilité du directeur de la publication, devra par conséquent identifier avec soin les propos sur lesquels elle entend fonder sa plainte, sous peine de voir celle-ci rejetée.

Enfin, reste en suspens la question de l’appréciation du caractère illicite du message posté sur un forum. Est-ce vraiment au directeur de la publication de se faire juge d’un contenu posté sur un forum et de le qualifier de diffamatoire, ou un tel travail relève t-il des prérogatives de la justice ?

Nul doute que la jurisprudence sera amenée à se prononcer dans les mois à venir sur cette épineuse question.



Henri Leben
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